Emilio Lussu (1890-1975) est né en Sardaigne. Héros de la Première Guerre mondiale, il relatera cette expérience dans un livre culte, Un anno sull’Altipiano, adapté au cinéma par Francesco Rosi, Les Hommes contre. En 1921, il est élu député et s’oppose, de toutes ses forces, au fascisme.
En 1926, victime d’une tentative d’assassinat, il abat l’un de ses agresseurs. La légitime défense est retenue dans un premier temps par les juges mais un tribunal spécial le condamne à cinq années d’internement. Il est transféré sur l’île de Lipari dont il s’évade en 1929, infligeant ainsi un terrible camouflet à Mussolini.
Fondateur du mouvement Giustizia e Libertà, il joue un rôle prépondérant dans l’organisation de la résistance antifasciste hors d’Italie.
En 2023 sortira, en Italie, un film de Gianluca Medas, Emilio Lussu, il processo.
Francis Pascal a été psychiatre à Marseille où Emilio Lussu organisa l’exfiltration de nombreux antifascistes italiens pendant la Seconde Guerre mondiale. Amoureux de la Sardaigne et traducteur en français d’Emilio Lussu, La Chaîne et Le Sanglier du diable, Francis Pascal retrace le parcours de cet homme au destin hors du commun. Francis Pascal a aussi traduit le livre de Carlo Levi, Tout le miel est fini.
« Je pensais que la mère était maintenant trop vieille pour mourir. On était allés le frère cadet et moi l’enfermer sans lui demander son avis, dans une chambre de 15 mètres carrés à la Résidence Heureuse une maison de retraite qui en valait bien une autre. C’était un endroit parfait comme anti- chambre de la mort. On était au centre de l’hiver, janvier avec ses matins obscurs et ses nuits longues comme un jour sans pain aurait
dit la mère qui s’y connaissait en aigreur d’estomac. Elle était malheureuse à la Résidence Heureuse. Je la visitais chaque jour. Je la trouvais assise sur le bord de son lit, en train de san- gloter. Elle n’arrêtait pas de répéter qu’ici c’était pas chez elle. Elle voulait repartir dans la Basse Italie qu’elle avait quittée quatre-vingt-cinq ans auparavant. Ça nous remettait à loin. J’ai jamais eu les mots pour la consoler. Incapable de la prendre dans mes bras. Jamais on ne se prenait dans les bras. La mère s’était arrêtée de parler, c’était étonnant, elle qui avait tant causé durant sa vie. Je la connaissais moi, sa vie. Son arrivée en France en gare de Modane par une froide nuit de février. Une petite pièce d’une lire serrée dans le creux de sa main, une for- tune. La grande traversée de son existence, elle me l’avait souvent racontée. Ces histoires étaient devenues les miennes. Mais elles ont fini par devenir trop encombrantes. Alors pour m’en débarrasser je les ai jetées sans ménagement, comme ça venait, sur toute l’étendue d’une centaine de feuilles de papier. »